Albert Falco : une 110 mètres a l'air

Extrait de "Falco chef plongeur de la Calypso" éditions Flammarion

Ce jour-là, dit-il, j'ai passé une autre frontière. J'avais fait la veille une longée en soucoupe avec le géologue de l'Institut Océanographique de Monaco : M. Guierman. Il s'agissait d'effectuer une reconnaissance géolo-ique du détroit de Messine en vue d'implanter les piles d'un grand pont rojeté par les Italiens.

Pendant cette plongée nous avons trouvé sur le fond des roches agglomè¬res d'une consistance terriblement dure : la pince de la soucoupe s'est révélée icapable de les casser.

J'ai proposé au commandant Cousteau de descendre en scaphandre our en prélever un morceau avec un marteau et un burin. Je l'ai fait parce ue je savais que nous allions, au cours d'une prochaine croisière, plonger l'hélium et je voulais faire la différence entre une plongée à 100 mètres à air et une plongée à 100 mètres à l'hélium. Nous étions en forme, Coll et moi.

Le commandant ayant trouvé au sondeur une roche à 70 mètres a fait louiller une bouée. Notre descente a été prévue pour le lendemain à 1 heures 30 au moment de l'étalé, ce qui est très important parce que le courant ans le détroit de Messine est violent.

Coll et moi, nous descendons le long du nylon de la bouée dans une au absolument limpide et très bleue. A 30 mètres nous croisons des méduses.
« Une minute après nous sommes déjà à 80 mètres et nous apercevons,
20 mètres plus bas, la gueuse de la bouée qui a dû glisser du sommet de la
roche.

90 mètres, devant mes yeux des rosaces tournent : c'est l'avertissement. e ressens une véritable explosion dans le crâne. Je ne sais pas ce qui se passe, ; ne le saurai jamais. J'avais la tête en bas pour aller plus vite. Cela me stoppe et. Je suis sur le point de remonter, pris de panique. Ça va mal. Je me dis : (e vais remonter de quelques mètres et réfléchir.' Puis de nouveau tout se asse bien. Je suis lucide, tout redevient normal. Je regarde vers le fond. Le
sol est là, tout proche. Pour moi, c'est 10 ou 15 mètres d'eau à franchir. Je
réfléchis encore quelques secondes et je me persuade que je peux continuer.

C'est peut-être un coup de folie, mais pris par la narcose, pris par 'envie d'aller jusqu'au fond, ce jour-là je descends, je dépasse les 100 mètres : 109-110 mètres. Je n'ai pas de mal à faire les derniers 10 ou 15 mètres pour toucher le fond. Mon manomètre est bloqué à plus de 100 mètres.

Je fais signe à Coll qui semble lui aussi en bonne forme. Je me dirige ers des roches couvertes d'algues qu'agité un léger courant.

J'essaie alors de sortir le burin de mon gilet et de m'en servir. Je me ends compte qu'il est impossible de casser la roche. Je sens que je m'approche
du maximum d'ivresse supportable. Une dernière fois, je frappe sur le rocher : seules, quelques algues calcaires s'effritent sous les coups de marteau. Je suis incapable de briser le rocher lui-même : c'est un échec.

Cette fois je comprends : je suis en pleine narcose, je commence à être terriblement atteint. C'est fini, il faut remonter. Je fais signe à Raymond qui est toujours à deux ou trois mètres au-dessus de moi.

Néanmoins je veux ramener quelque chose du fond. Je décide d'arra¬cher des laminaires au passage et j'arrive à les mettre dans le filet que j'ai heureusement amarré au nylon que Coll a gardé dans sa main. Je donne un coup d'œil sur ma-montre : 5 minutes 30 sont passées. Il faut gagner quelques mètres en hauteur et vite.

Le nylon fait une grande boucle et se dirige vers les grands fonds. Les battements de mon cœur s'affolent. Je sais qu'il faut remonter de quelques mètres pour retrouver notre calme.

Je fais signe à Coll et j'accélère mes mouvements de palmes. Il me suit. Nous revenons rapidement à 40 mètres.
Je fais route en pleine eau vers les bulles que nous avons laissées derrière nous.

Et j'aperçois en surface Bernard Delemotte. Par signes il nous mi l'emplacement de la bouée. Nous nous dirigeons aussitôt sur elle et commençons nos paliers.

J'ai alors le temps de penser à notre aventure qui, il faut le dire, un peu folle.

Mais depuis longtemps j'avais le désir de savoir quelle serait ma réaction devant ce mur des 100 mètres.

Pendant ces paliers nous avons vu les longues laminaires, que je portais dans mon sac et que j'en avais sorties, onduler dans le bleu de la mer. C' la preuve que nous étions allés jusqu'au fond. Seule, la dureté de la pierre nous avait pas permis de ramener des échantillons de roches.

bonne lecture
PS excusez les eventuelles typos mon OCR ne fait pas du 100%

Merci JM pour cette lecture. Ils étaient couillus à cette époque.

pour info sur une 110 mètres a l'air on explose tous les compteurs coté sécurité du gaz respiré : non seulement on est complètement "dans le gaz" comme le raconte Albert Falco en raison de la narcose

mais surtout la pression partielle d'oxygène est TRES élevée et le risque d'hyperoxie est très important a 110 mètres la PPO2 est de 2,52 bars : la PPO2 max reconnue en plongée loisir est a 1,4 , en plongée sportive a 1,6 et pour les militaires des incursions a 2

preuve que nous ne sommes pas tous égaux devant ces phénomènes ... et que Albert Falco est totalement "hors du commun"

Je ne l'ai pas lu celui là, doit être bien...

Il faut en avoir pour tenter un truc pareil...

J'ai "Capitaine de la Calypso" .

Lionel

Jean-Michel a écrit:pour info sur une 110 mètres a l'air on explose tous les compteurs coté sécurité du gaz respiré : non seulement on est complètement "dans le gaz" comme le raconte Albert Falco en raison de la narcose

mais surtout la pression partielle d'oxygène est TRES élevée et le risque d'hyperoxie est très important a 110 mètres la PPO2 est de 2,52 bars : la PPO2 max reconnue en plongée loisir est a 1,4 , en plongée sportive a 1,6 et pour les militaires des incursions a 2

preuve que nous ne sommes pas tous égaux devant ces phénomènes ... et que Albert Falco est totalement "hors du commun"

Le fait qu'il se soit bouffé un nombre incroyable de plongées peut-il accoutumer son organisme, ou déjà, à la naissance, ne naissons-nous pas tous avec les mêmes disponibilités, ou les 2 ?

Lionel

pour illustrer le danger de ce type de plongée, ayons en mémoire le premier maître Maurice Fargues : pionnier de la plongée sous-marine :



dernière plongée à 120 mètres le 17/09/1947
(© Émile Jean Sevellec)

1947 sera l'année des records de profondeur en plongée. F. Dumas ouvre le bal en descendant à quatre-vingt-treize mètres. Toute l'équipe des mousquemers suivra jusqu'à quatre-vingt-dix mètres. J.-Y. Cousteau descendra à 100 mètres de profondeur, un record. Malheureusement, en octobre 1947, le premier maître Maurice Fargues sera remonté mort d'un fond de 120 mètres.

micromeca a écrit:


Le fait qu'il se soit bouffé un nombre incroyable de plongées peut-il accoutumer son organisme, ou déjà, à la naissance, ne naissons-nous pas tous avec les mêmes disponibilités, ou les 2 ?

Lionel

probablement les 2 il est clair que nous ne sommes pas tous égaux sur la décompression et ceci dès la naissance, mais l'expérience aide forcement en tout cas a détecter les premiers symptômes d'un problème

Super récit, merci... il est clair que Monsieur Falco est un tres serieux client... j'imagine même pas la courbe de CNS !!.... Ne serions nous pas tous égaux devant ...

110m à la palme !
Que de risques pris !
Malgré la force physique et la résistance du plongeur, je reste persuadée que c'est une roulette russe !
Au moins, M. Falco donne une leçon en restant modeste sur ses réactions au fond et son état de narcose avancé.

En plus des capacités physiques de Falco, je remarque aussi, et c'est important pour ce genre d'activité risquée, une capacité d'analyse de ce qui lui arrive.

Malgré la narcose, il sait qu'il est narcosé, il se rappelle encore ce qu'il faut faire, il arrive encore à analyser son problème. Et il s'en sort.

Un autre, peu habitué à ces conditions et moins calme dans "la détresse" n'aurai sans doute pas su se rendre compte à temps du danger.

Ce genre de capacité à encore pouvoir réfléchir dans le stress/l'ivresse/la tête en bas/sous les balles de 12.7/à 8G (rayez les mentions inutiles) est une qualité essentielle dans certaines professions.

H3

h trois a écrit:

Ce genre de capacité à encore pouvoir réfléchir dans le stress/l'ivresse/la tête en bas/sous les balles de 12.7/à 8G (rayez les mentions inutiles) est une qualité essentielle dans certaines professions.

H3

Bibliothécaire ?

je viens de finir le dernier plongé mag, ou l'on parle de l'histoire de la décompression, depuis Haldane jusqu'à maintenant. Des avancés et des progrès fait en la matière, et des incertitudes qui subsistent. C'est une science qui évolue encore et qui peut-être réserve d'autres découvertes...

Alors quand je lis les aventures de Falco, j'avoue être doublement impressionné par l'homme et ses capacités, ainsi que par ses paramètres de plongée.
C'est juste fou...

mirza

récit incroyable et plein d'humilité... cela me fait penser à tous ces récits hors du commun, de Hillary & Tensing à Vito Dumas en passant par des personnalités comme Capa...

l'homme est un animal étrange: 1953, deux hommes sur l'everest: exploit incroyable. Années 90/2000: des mecs enchainent les 8000 en qq jours comme vous et moi faisons du joging! Comme un marathon: t'as des mecs taillés pour ça, j'en ai connu un à 15 ans il faisait 3h pour son premier...

alemmar a écrit: Années 90/2000: des mecs enchainent les 8000 en qq jours comme vous et moi faisons du joging!

a relativiser : l'Evrest a fait plus de morts que de vainqueurs au sommet

quelques alpinistes de TRES haut niveaux font des 8000 en quelques jours avec des techniques d'escalades inconnues a l'époque, et surtout le monde compte des millions de pratiquants qui font une base énorme pour tirer des champions, alors que l'alpinisme était un sport totalement marginal dans les fifties

tout ça pour dire que:
-en un: le mec, sa génétique, son envie
-en deux: le sprogrès scientifiques et technos

alemmar a écrit:tout ça pour dire que:
-en un: le mec, sa génétique, son envie
-en deux: le sprogrès scientifiques et technos

la oui a 100% sur le même longeur d'onde
sauf que pour cette plongée particulière une 110 m a l'air ça reste dingue ... bien sur une 110m au trimix cela n'a rien a voir : merci techno

Mais c'est un gaillard M.Falco! Remarié à presque 80 ans, faut assurer!

alemmar a écrit:Mais c'est un gaillard M.Falco! Remarié à presque 80 ans, faut assurer!

et toujours plongeur !
il a fêté son 80eme anniversaire cette année
pour info président d'honneur de l'association Longitude181

Jean-Michel a écrit:

alemmar a écrit: Années 90/2000: des mecs enchainent les 8000 en qq jours comme vous et moi faisons du joging!

a relativiser : l'Evrest a fait plus de morts que de vainqueurs au sommet

quelques alpinistes de TRES haut niveaux font des 8000 en quelques jours avec des techniques d'escalades inconnues a l'époque, et surtout le monde compte des millions de pratiquants qui font une base énorme pour tirer des champions, alors que l'alpinisme était un sport totalement marginal dans les fifties

et surtout, aujourd'hui, les voies sont connues... en 1953, tout était à faire, avec un matériel à faire pâlir n'importe quel alpiniste moderne !

Il en va de même pour la plongée... Il i y a Mistralopithèque, oui, mais qui bénéficie de l'expérience de ces défricheurs !

waw!! ça pique

alala... narcose quand tu nous tiens
ça me rappelle des choses, à ma petite/modeste (et tant mieux!!) échelle


très intéressant, ce témoignage d'un autre temps...


je me demande d'ailleurs ce qu'un CR de ce genre donnerait sur certains forums

oui c'est vrai que cela serai marrant a poster en changeant les noms ! je suis sur que l'on trouverai beaucoup de donneurs de leçon pour corriger tout ça

C'est clair ! Bonne idée...

sacrée plongée! 110m à l'air! quand on pense que maintenant certains prônent le trimix dès 30m (du Triox en l'occurence)... il y a un bon dieu pour les découvreurs et les précurseurs, pour que ceux ci nous rapporte du rêve et de la passion!